Ce fragment de statue monumentale appartient à une catégorie spécifique de portraits royaux ptolémaïques, présentant à la fois des traits égyptiens et grecs. Les souverains ptolémaïques étaient originaires de Macédoine et prirent le contrôle de l’Égypte après la mort d’Alexandre le Grand. On ne commença à produire des statues de style égyptien, mais adoptant des caractéristiques typiquement grecques, qu’après cent vingt ans de domination, sous le règne de Ptolémée V Épiphane, et leur fabrication perdura jusqu’à l’époque du dernier souverain ptolémaïque, Ptolémée XV Césarion. Certains empereurs romains perpétuèrent cette tradition mais de façon sporadique, et souvent en Italie, où le public avait besoin de s’aider d’un portrait complémentaire pour reconnaître le sujet d’une statue. La statue alexandrine est cassée au niveau des épaules, seule la tête et une partie de sa coiffe subsistent. Le visage est celui d’un tout jeune homme, d’apparence réaliste, ce qui suggère un modèle grec plutôt qu’égyptien. La figuration des cheveux n’est pas égyptienne,mais cet élément se retrouve sur de nombreuses statues ptolémaïques aux traits grecs. La coiffe, un némès, était portée par les souverains de sexe masculin et par certains jeunes dieux, Horus entre autres. Elle est habituelle dans les représentations égyptiennes du roi. Le némès comporte deux séries de trous qui devaient autrefois recevoir des chevilles. Ces dernières se situent au sommet de la tête et devaient permettre l’adjonction d’une couronne ou de la couronne combinée de Haute et de Basse-Égypte. Deux autres trous sont placés dans les plis du némès, audessus des oreilles. Il a d’abord été suggéré que les trous les plus petits maintenaient un diadème ou un ruban en or, bien que ces attributs soient rarement combinés avec le némès. En 2003, on émit l’hypothèse qu’ils supportaient autrefois des cornes de bélier, associant ainsi le jeune homme au dieu gréco-égyptien Amon et, par association, au dieu grec Zeus. L’autre attribut fondamental est l’uræus ou cobra, emblème de protection porté par les membres de la famille royale et les dieux, mais aussi, plus tard, par les gens ordinaires dans un contexte funéraire. La protubérance au milieu de la frange pourrait correspondre à la figuration en ronde-bosse du cobra royal. La présence de cet élément particulier revêt une grande importance pour l’identification du sujet : certains scientifiques estimaient que son absence datait la statue de la période romaine. D’autres ont supposé que ce type de coiffure était typique de l’empereur Auguste. Les traits du visage (qui ne sont pas à la ressemblance du sujet mais suivent un modèle naturaliste grec élaboré pour donner une image acceptable d’un souverain donné) sont visiblement jeunes. Le visage est large et plat, avec des arcades proéminentes, des sourcils arrondis et des lignes nettes autour des yeux. Les lèvres sont pleines et incurvées vers le bas, presque boudeuses, caractéristiques des représentations ptolémaïques du Ier siècle av. J.-C. L’oeuvre qui ressemble le plus à ce souverain alexandrin est une statue de provenance inconnue, maintenant exposée au Musée égyptien de Turin (1385), identifiée comme une possible représentation de Cléopâtre VII. On connaît un grand nombre de statues royales au visage tout aussi jeune, souvent décrites comme des représentations de princes du Ier siècle, coiffés soit du némès traditionnel, soit du diadème. Certains portent un uræus, d’autres non. Comme il a été dit plus haut, certains scientifiques émettent l’hypothèse que les images de souverain sans le cobra indiquent une datation romaine plutôt que ptolémaïque. Cependant, beaucoup des changements qu’on trouve dans l’Égypte romaine prennent naissance vers la fin de la période ptolémaïque. Dans la pratique, le style et les traits du « portrait » sont probablement un meilleur indicateur de la date et de l’identité du sujet. La similarité entre cette statue et d’autres datées de la fin de la période ptolémaïque semble indiquer que le sujet est un des derniers rois de cette période. Sa jeunesse et des caractéristiques comparables à la statue de Cléopâtre VII conservée à Turin offrent d’autres indices quant à l’identité du sujet. On considère que Cléopâtre VII a régné avec cinq hommes différents. Les deux premiers étaient ses frères, Ptolémée XIII et XIV. Deux autres étaient ses amants, Jules César et Marc Antoine - il faut souligner qu’aucun des deux Romains ne fut déclaré roi d’Égypte, et que l’hypothèse qu’ils aient été présentés de cette façon est peu répandue. La dernière personne avec qui régna Cléopâtre est son fils Ptolémée XV, nommé Césarion (petit César) par les Alexandrins. Elle eut encore deux fils et une fille de Marc Antoine, mais c’est Césarion qui fut proclamé cosouverain et avec qui Cléopâtre est représentée sur le mur sud du temple d’Hathor à Denderah. Le sujet de la statue alexandrine étant présenté comme roi d’Égypte, il paraît vraisemblable qu’il s’agisse du fils aîné de Cléopâtre et qu’il ait été autrefois accompagné d’une statue de la reine elle-même. L’oeuvre la plus proche de cette statue est un couple monumental découvert dans le district est de la ville, où Cléopâtre est Isis, et son fils le souverain d’Égypte. S. -A. Ashton dans Trésors engloutis d’Égypte, Le Seuil, Paris, 2006, avec bibliographie.