Cette oeuvre de haute qualité a été retrouvée sur le site de Canope Est, dans la zone à l’ouest de T, qui semble avoir été une zone de dépôt de statues brisées. Il s’agit d’une tête colossale masculine en marbre blanc. Elle est brisée au bas du cou. La pointe du nez est cassée ainsi que les cheveux au sommet du front. Le visage est large et le front élevé. Sous les arcades sourcilières anguleuses, les yeux sont évidés, bordés de paupières bien modelées. La bouche, aux lèvres à peine marquées, est surmontée de moustaches aux pointes tombantes. Tout le bas du visage est couvert par une barbe abondante en mèches enroulées et serrées. La chevelure également abondante retombe en longues mèches sinueuses marquées de rainures profondes des deux côtés de la tête. Sur l’arrière, les mèches sont plates et terminées sur la nuque par des boucles épaisses. Le bas de la sculpture présente une cassure irrégulière. Le départ de l’épaule droite est visible. Sur l’arrière, un rebord droit va de droite à gauche, formant un ressaut. Il s’agit probablement d’un reste du système de fixation de la tête au corps de la sculpture. Le sommet de la tête est surmonté d’une surface horizontale circulaire légèrement en relief. Au milieu de ce disque est creusé un trou carré destiné au tenon de fixation d’un élément surmontant la tête. Ce détail et la taille imposante de la tête prouvent que nous avons affaire à une image divine. Le visage puissant, doté d’une barbe et d’une chevelure abondantes, caractérise les effigies de Sérapis. La forme du disque, au sommet du crâne, est exactement celle de la base de la corbeille, le calathos, que le dieu porte couramment sur ses représentations.Or, plus loin sur le fond marin de l’antique Canope Est a été retrouvé le calathos (voir SCA 206) appartenant à cette sculpture. Celui-ci, en marbre blanc, est de forme cylindrique légèrement évasée vers le haut. La surface supérieure est abîmée et l’arrière effacé. Au milieu de la surface inférieure est taillé un trou carré destiné à recevoir le tenon de fixation. La paroi du calathos est ornée de deux plantes similaires, à la tige épaisse d’où s’élèvent de courtes branches terminées par de grandes feuilles en forme de lance, certainement une représentation stylisée d’oliviers - la décoration la plus courante du couvre-chef de Sérapis. Il pourrait dater de l’époque romaine, contrairement à la tête. Il faudrait alors supposer que le calathos en question était un rajout ou un remplacement à une statue d’époque antérieure.En ce qui concerne la datation de la tête, le traitement de la chevelure (« Anastolè-Typus ») permet en effet d’avancer l’hypothèse de la période hellénistique. Du moins si nous la comparons avec, par exemple, le buste de Baltimore, Walters Art Gallery. À noter que c’est ce même type de schéma qui fut à l’origine de certaines effigies de Sérapis Ammon au Musée égyptien du Caire ou au Brooklyn Museum.Un trait particulier à la sculpture de Canope réside dans les yeux évidés jadis incrustés. La chevelure en longues mèches tombantes présente le même rendu que la barbe et les moustaches. Enfin, l’agencement des cheveux en épi au-dessus du front est caractéristique de l’«Asclépios Blacas » du British Museum à Londres. Ce dernier est considéré comme issu de l’école de Bryaxis, l’auteur supposé de la statue de culte de Sérapis. En revanche, les yeux évidés sont une spécificité que nous observons sur la tête colossale de Titan du temple de Lycosoura, attribuée à Damophon de Messène. Le traitement de la chevelure, en particulier au-dessus du front, est d’esprit similaire à notre sculpture. Aussi, nous serions enclin à voir en la tête Sérapis de Canope Est une oeuvre hellénistique de la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C., reproduisant en un style légèrement plus récent l’effigie de culte du dieu attribuée à Bryaxis.La taille de la sculpture est un aspect essentiel de son interprétation. Dans son état actuel, avec le calathos, elle mesure 83 cm de haut. Parmi les têtes trouvées en Égypte d’une dimension comparable, nous ne connaissons que l’exemple en marbre exposé au Musée grécoromain d’Alexandrie (53 cm) ou encore celle en plâtre du même musée (55 cm). Seule la tête de Crocodilopolis du Musée égyptien du Caire est plus colossale encore, atteignant 90 cm de haut ! Observons que toutes sont du type « à anastolè ». Le mode de fixation à l’arrière de la sculpture indique qu’elle appartenait à une statue de dieu, selon toute vraisemblance du type canonique, c’est-à-dire trônant. Il faut alors imaginer une statue mesurant de 4 à 4, 5 m de haut. Dans un temple, il ne pouvait y avoir qu’une seule statue du dieu de cette envergure : la statue de culte. Naturellement, elle ne fut pas trouvée sur son emplacement d’origine et rien ne permet de l’attribuer à un temple précis (consacré au seul Sérapis ou à Isis). Remarquons cependant qu’elle fut découverte à proximité de TW4, qui présente, de loin, les plus imposants vestiges de monument sur le site de Canope Est. Compte tenu de sa qualité artistique et des traits stylistiques correspondant étroitement à l’art hellénistique de la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C., nous serions enclin à voir en cette tête de Sérapis un original hellénistique de cette période, fragment d’une statue de culte dont le rôle devait être important dans le centre religieux de Canope.Zolt Kiss in Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006 p.146 avec bibliographie