Le corps bien droit, les bras collés au corps, le pied gauche porté en avant ; la démarche présente la même dignité tranquille que l’ensemble des effigies qu’a laissées la statuaire pharaonique. Entier, ce corps féminin d’une saisissante qualité plastique devait légèrement dépasser la taille naturelle. La tête n’a pas été retrouvée, pas plus que les pieds brisés au niveau des chevilles. Le bras droit a été tranché à la hauteur du poignet, le gauche est cassé au pli du coude ; une trace de l’accroche de la main subsiste sous la forme d’une mince saillie. On ne saurait dire si la femme plaquait simplement les paumes de ses mains sur ses cuisses ou si elle tenait quelque objet dans ses poings fermés. La statue ne représente pas la déesse Isis de Ménouthis annoncée par certains communiqués au moment de sa découverte. Le détail sur lequel s’autorisait cette identification est le noeud qui joint les extrémités du châle que porte la dame. Ce noeud se rencontre, d’ailleurs, sur de nombreuses statues de souverains lagides, placé, comme ici, au-dessus du sein gauche, ou bien entre les deux seins. Puisque ces soeurs-épouses, mères de l’héritier du pouvoir, étaient notamment comparées à Isis, soeur-épouse du roi Osiris et mère d’Horus, les savants parlaient volontiers du « noeud d’Isis ». Cette expression n’allait pas sans entraîner une confusion avec un autre « noeud d’Isis », pourtant différent : l’amulette dénommée tit, formée de rubans différents, laquelle, attestée depuis l’époque archaïque, reproduisait sans doute, à l’origine, la boucle de ceinture ceignant le bas-ventre des femmes.Assurément, les représentations d’Isis réalisées à l’époque romaine sont toutes parées du fameux noeud, mais elles ne font que prêter à la souveraine universelle l’apparence des reines lagides, d’autant plus que dans la province d’Égypte, possession personnelle de l’empereur, la théologie et l’iconographie sacrée s’accoutumèrent à se passer d’une reine terrestre. D’autre part, le châle et son noeud faisaient partie de l’habillement des femmes royales et des nobles dames depuis le Nouvel Empire. La coiffe différencie immédiatement les reines de la déesse : si les reines portent une coiffure finement nattée, adaptation « moderne » de celle de leurs devancières indigènes, la déesse Isis arbore la grosse perruque tripartite, caractéristique de son statut de divinité. Ainsi la sculpture figure-t-elle sûrement l’une des reines appartenant à la dynastie ptolémaïque, qu’un maître sculpteur a tirée d’une roche venue d’une carrière égyptienne. Mais laquelle de ces reines ? Question délicate en l’absence du visage, qu’on peut essayer de résoudre au prix de laborieuses comparaisons typologiques à d’autres effigies de membres de la famille.La statue appartient à un groupe statuaire particulier de représentations féminines, celui des reines aux épaules dégagées et à la chevelure ramassée. En effet, ce groupe restreint de femmes coiffées court est représenté par au moins cinq corps tous décapités, dont un seul a conservé ses pieds et sa base, auquel s’ajoutent deux morceaux provenant d’une statue colossale. Toutes portent la robe plissée et le châle noué, l’une d’elles, le magnifique Boston 1990-314, n’enregistrant pas les plis. Les épaules ne sont pas chevauchées par les pans d’une perruque. Les bras, nus, sont collés au corps, les poings serrés ; dans un cas, le poing gauche tient le « signe de vie » (ânkh) ; dans un autre, le même signe à gauche et un sistre à droite. Ces éléments distinguent ces statues d’un groupe, largement majoritaire, de femmes coiffées d’une perruque à frisettes serrées (corkscrew locks) tombant par-dessus les épaules, et qui tiennent souvent la cornu copia, la « corne d’abondance », ce qui signifie qu’elles apportent l’abondance des aliments. Toutes, à quelques exceptions près, sont vêtues de la robe finement plissée et du châle se terminant par le prétendu « noeud d’Isis ». Bien que, dans le détail, aucune de ces statues ne soit identique à l’autre, leurs attributs communs montrent que ces personnes ont le même statut théologique. Les variantes sont multiples, la qualité plastique inégale. Certaines surmontent leur chevelure de la coiffe-vautour traditionnelle ou d’un haut cimier hathorique. Quelques-unes avaient les yeux incrustés. Tantôt un seul des seins, celui de droite de préférence, est dévoilé, tantôt les deux; parfois la poitrine est entièrement couverte. Cependant, il est un trait commun à tous les exemplaires, sauf deux exceptions : la dame, selon l’immémorial usage égyptien, est adossée à un pilier dorsal qui généralement - sauf une exception - est anépigraphe. Or, cette statue comporte une particularité : elle est dépourvue de pilier dorsal. Cette absence même ne dénotait- elle pas quelque chose de grec ? Et de se demander si ce chef-d’oeuvre qui avait été adoré dans la région canopique n’était pas le prototype du groupe de statues de reines aux épaules dégagées et à la chevelure ramassée, groupe que le roi alexandrin avait commandé à un grand maître pour sacraliser une grande souveraine.L’apparition d’Aphrodite. Le traitement des étoffes rappelle les marbres de facture hellénistique qui représentent une Aphrodite en « drapé mouillé ». De face, les plis déshabillent la personne plus qu’ils ne l’habillent. De dos, une masse de tissu tombe lourdement, pareille à un drap gorgé d’eau; le bord vient se plaquer obliquement sur la jambe gauche. Or Aphrodite, pour grande déesse de la fertilité végétale qu’elle ait été, était née de la mer écumante devant Palaepaphos (la vieille Paphos), sur la côte méridionale de Chypre. On pense immédiatement à celle des reines qui fut spécialement considérée comme une manifestation insigne d’Aphrodite : Arsinoé II Philadelphe, une femme dont les destinées, dans sa vie et après sa mort, sont une extravagante aventure.Les aventures d’Arsinoé II. Ptolémée Ier (c. 305-283), le fondateur de la dynastie, avait pris pour épouse Arsinoé Ire, fille de Lysimaque roi de Macédoine, lequel disputait à plusieurs concurrents la possession de cet État, de la Grèce et de l’Anatolie. Et il avait donné à Lysimaque, alors un homme déjà vieux, sa propre fille Arsinoé II, qu’il avait eue vers 316 de sa liaison avec sa future épouse Bérénice. Cette Arsinoé, reine en Macédoine, allait révéler un tempérament hors du commun. Elle déteste les autres femmes qui le lui rendent bien. Elle séduit l’un ou l’autre des rivaux de son époux, dénonce et calomnie et, vrai rapace, augmente sa fortune. En 281, Lysimaque, disputant à Séleucos la possession de l’Asie, y est tué à la bataille de Couropédon. Arsinoé, qui s’était arrêtée à Éphèse, se replie à Cassandréia en Macédoine. Elle tente de tirer parti de ses avantages auprès des prétendants, échappe à un assassinat en usant d’une ruse sordide. Deux de ses trois fils sont massacrés. Elle se réfugie dans l’île de Samothrace qu’elle quitte pour l’Égypte où règne son frère Ptolémée II (285-246), plus jeune qu’elle de huit ans. La redoutable aventurière fait le siège de Ptolémée, réussit à liquider Arsinoé Ire et, au plus tard en 274-273, le deuxième Ptolémée finit par épouser sa soeur, un exemple qui sera suivi par tous ses successeurs. Lui se proclame « celui qui aime sa soeur »; elle « celle qui aime son frère ». Tous deux seront « les Dieux Philadelphes ». Historiens et psychologues ont beaucoup spéculé sur cet inceste souverain. Politiques ou érotiques, les raisons de Ptolémée II, amoureux d’une ci-devant mégère déjà vieille, sont de celles que notre raison peine à comprendre. Pour les contemporains, cette union, pour nous incestueuse, n’avait rien de scandaleux, car relevant de la condition surhumaine des rois. Elle laissa la réputation d’avoir été une beauté. D’après ses portraits de marbre et ses profils frappés sur les monnaies, « les proportions du visage sont larges, avec un long nez au profil légèrement incurvé, une bouche aux lèvres charnues et un menton fort ». Les traits ne répondent ni à la classique « beauté grecque », ni à notre idéal de beauté. Sans doute ses formes qui lui attirèrent plus d’un amant, ses gestes, son regard la rendaient-ils désirable, sans parler de son ascendance, un avantage de plus dans l’esprit de l’eugéniste endogame que fut Ptolémée II. Le couple vécut heureux pendant cinq ou six ans. Quelle fut la participation d’Arsinoé aux entreprises de Philadelphe ? Peut-être s’intéressa-t-elle aux technologies nouvelles (l’irrigation du Fayoum qui deviendra le Nome Arsinoite) ? En tout cas, les ingénieurs alexandrins servirent sa mémoire et son culte. Sûrement les affaires navales furent sa spécialité...Une apothéose navale. Le fastueux Ptolémée n’a pas seulement fait beaucoup pour les lettres, les arts et les sciences. Il a su conserver par les armes les domaines que son père avait conquis outre-mer - Chypre et les côtes syriennes - et même intervenir en Grèce. On lui doit l’aménagement initial du port de guerre d’Alexandrie et la construction du Phare. Arsinoé, qui avait été par le passé combative et voyageuse, s’occupa activement des forces navales et des routes maritimes, avec pour effet, à en croire ses thuriféraires, qu’elle fut très estimée des amiraux et adorée des marins, des rameurs indigènes en majorité.Lorsqu’elle mourut, approchant la cinquantaine, pour l’époque une remarquable longévité, la soeur adorée devint une divinité. Bizarrerie bien ptolémaïque, son statut théologique fut corroboré par le fils et le successeur de Philadelphe. Ptolémée III Évergète Ier, laissant dans l’ambiguïté le fait que sa mère était la misérable Arsinoé Ire, se dira parfois « le fils de Ptolémée et d’Arsinoé, les Dieux Adelphes ». Son propre fils, Ptolémée IV « qui aime son père », imita le grand-père en épousant sa soeur, Arsinoé III, puis son petit-fils, Ptolémée VI « qui aime sa mère », inaugura la série désormais continue des couples royaux incestueux.La glorieuse divination de la morte avait été tout de suite annoncée urbi et orbi. Nous n’en finirions pas d’énumérer ici toutes les mesures qui furent prises : financières et fiscales, auliques et protocolaires, théologiques et iconographiques, à Alexandrie, à Memphis, dans le Fayoum, dans les temples des nomes et jusque dans les possessions extérieures. Quantité de villes furent nommées ou renommées « Arsinoé ».Nous nous contenterons, pour rester dans le domaine de l’archéologie maritime, de considérer les lieux de culte qui furent créés par Philadelphe sur les rives de la mer dont sa soeur s’était spécialement occupée. À Alexandrie même, sur le Grand Port, un immense obélisque à elle dédié se dressait à proximité des arsenaux. Dans son Arsinoéion, un ingénieur avait prévu de placer une statue de fer, qui aurait flotté dans l’air grâce à l’intervention d’un aimant, et une statue taillée dans un bloc de péridot. Le choix de cette matière, rapportée d’une île de la mer Rouge, était symbolique. Ayant remis en état le canal joignant le Nil au golfe de Suez, Ptolémée II fonde à son débouché une ville qu’il dénomme Arsinoé. En partent et y reviennent les navires qui, entre autres, véhiculent les chasseurs d’éléphants de guerre des steppes orientales du Soudan.En tant que maîtresse des mers, Arsinoé II bénéficia d’une forme spécifique d’apothéose, elle fut Aphrodite en personne. Il se trouvait, en effet, que la Grande Déesse chypriote, auteur de la fécondité des champs, des jardins et des couples humains, avait acquis le rôle de protectrice des navigateurs, de maîtresse de la mer.La maîtresse du Zéphyr. Quels qu’aient été les traits qu’Aphrodite a de commun avec Astarté (notamment son association avec Adonis), ce n’est pas aux déesses cananéennes qu’elle a emprunté ce rôle. Dès l’époque archaïque, Aphrodite avait accompagné les négociants et artisans chypriotes jusqu’à Naucratis où un sanctuaire lui avait été consacré. Sans doute dès le Ve siècle, sûrement au IVe, plusieurs lieux de culte lui avaient été dédiés sur Le Pirée à l’initiative de Cypro-Phéniciens et de stratèges athéniens. Une publicité intense fit savoir au monde hellénique l’apothéose d’Arsinoé, apparition d’Aphrodite, patronne des gens de mer. Comme nos sculpteurs égyptiens, des sculpteurs grecs se mirent au travail. Parmi la série de statues royales rassemblées dans une chapelle collective de la dynastie, exhumée à Thmouis, figure un buste d’Arsinoé-Aphrodite fait de marbre et la montrant la tête rejetée en arrière, le regard tourné vers la gauche. Le sein droit est seul dénudé. En bons courtisans, les hommes de lettres participèrent à l’opération de communication politique et religieuse. Ils composèrent de pittoresques épigrammes, un genre alors fort au goût du jour. Celui qui fut le grand maître de ce genre, Callimaque, l’érudit qui catalogua par ailleurs la Bibliothèque d’Alexandrie, composa la dédicace d’un nautile qu’une certaine Sélénia, originaire de Smyrne, aurait consacré comme jouet à la déesse maritime, ce modèle céphalopode ayant nagé de lui-même jusqu’à Ioulis. Posidippe de Pella écrivit deux épigrammes pour vanter la navarque, Callicratès, le bâtisseur du petit temple de la Philadelphe. Un troisième poète, Hédyle de Samos, célébra le distributeur automatique que l’illustre Ctésibios, pionnier en matière d’hydraulique et d’acoustique, avait installé au Zéphyrion, un appareil pour abreuver les fêtards venant participer aux danses et aux beuveries qui caractérisaient les fêtes canopiques. Extérieurement, l’engin présentait l’apparence du dieu Bès dansant et trompetant. Simultanément, la trompette lançait un signal et le vin coulait du rhyton. Les fantaisies poétiques se complètent l’une l’autre ou se recoupent parfaitement. Le rôle prêté au chef suprême des forces navales témoigne en faveur de la réalité des interventions compétentes d’Arsinoé en la matière. Une stèle retrouvée à Canope Ouest suggère que ce Callicratès était déjà en fonction du vivant de celle-ci, et déjà préoccupé de pieux mécénat. Le sanctuaire est juché sur un cap (aktè). Ainsi que le précisera Strabon, c’est un petit bâtiment (naïsclos) établi sur un point culminant (akra), donc bien visible du large. Il est dit « à l’abri des vagues » et a reçu le nom de Zéphyrion, « le lieu de Zéphyr », Arsinoé étant qualifiée de Zephyritis, « celle du Zéphyr ». Elle est « celle qui aime Zéphyr ». Par ces mots, il faut entendre le vent, lorsqu’il est calme et régulier, propice à « une heureuse navigation », ni trop fort ni trop faible.Arsinoé-Aphrodite ne doit pas seulement être priée « sur mer », mais aussi « sur terre ». Posidippe lance cette exhortation :« Allez ! [...] Marchez, chastes filles des Grecs, et vous, travailleurs de la mer! » Callimaque parle effectivement d’une demoiselle de bonne famille et de bonne conduite qui sollicite la faveur de la déesse. La seconde fonction d’Arsinoé peut surprendre. D’ordinaire, Aphrodite exacerbe le désir des mâles qui s’emparent des femmes, avec ou sans le consentement de ces dernières. D’ordinaire, le soin de s’occuper des vierges à marier revient à Artémis; c’est sous sa tutelle que les jeunes filles s’initient au métier d’épouse. Il est bien d’aimer son mari et de servir l’homme qui vous possède. C’est mieux si lui-même vous aime vraiment d’amour. Voilà le bonheur qu’un autre grand poète, Théocrite, fait attendre de l’intervention d’Aphrodite : « l’égalité d’un amour réciproque », allusion transparente à la parité entre les deux Philadelphes. On doit se demander, au passage, si nous n’avons pas affaire, d’autre part, dans ce culte qui concerne les marins égyptiens, à un corollaire de l’assimilation d’Aphrodite à Hathor (et vice versa) qui remontait au VIe siècle. Au Zéphyrion, cette identification s’avérait des plus pertinentes. Hathor était la patronne des navigations vers Byblos et des expéditions en mer Rouge. Elle provoquait chez les dieux les désirs d’amour. Elle était aussi la providentielle marieuse qui établissait les jeunes filles et trouvait un mari pour les veuves.Callimaque, Posidippe et Théocrite usent du surnom fort courant d’Aphrodite : Cypris, c’est-à-dire la Chypriote, pour faire référence au lieu de sa naissance. Or une des trois villes dites Arsinoé créées dans l’île, celle qui voisinait la vieille Paphos, possédait aussi un Zéphyrion. Deux sanctuaires homonymes, sur des sites homologues, gardaient de la sorte les deux extrémités d’une route stratégique vitale pour la monarchie lagide.Ioulis, pareillement, où parvient le nautile, est un point stratégique. C’est une ville de l’île de Kéos, face à la côte orientale de l’Attique, bien placée pour servir de relâche aux navires dirigés sur la Grèce continentale où Ptolémée III tenta plus d’une fois d’intervenir. Un culte de sa ministre de la Marine avait tout lieu d’être institué (ou imaginé) à Kéos. Strabon, entre 27 et 20, a vu le sanctuaire d’Arsinoé-Aphrodite. Sauf Pline qui procède d’auteurs antérieurs, il est le dernier à en parler. Rome n’avait que faire de cette Vénus-là pour protéger ses convois de blé et de roches égyptiennes qui cinglaient vers l’occident.Dans quel sanctuaire de Canope la statue était-elle dressée, d’où elle fut enlevée, mutilée, pour finir dans son terrain vague? On peut songer à un temenos situé vers l’ouest, hors de la zone fouillée par l’IEASM, en un secteur d’accès aujourd’hui impossible. Cependant, son état et son destin étant les mêmes que ceux du grand Sérapis, on peut imaginer que la reine viendrait du Serapeum (voir plan du site TW 4, p. 57-58), où la reine aurait compté, comme en de nombreuses villes, parmi les dieux sunnaoï, « ceux qui partagent le sanctuaire », avec le patron du temenos.Toujours est-il, à en juger par sa qualité, qu’elle avait été destinée à un temple très important et sculpté, peut-on imaginer, selon la volonté expresse de Ptolémée Philadelphe, qui aurait invité un maître égyptien à créer une image expressive d’Aphrodite-Arsinoé, la révélant telle qu’à sa naissance, afin de servir de modèle aux statues de culte prévues. Le roi aura mis l’artiste en contact avec les ateliers alexandrins ou lui aura, du moins, montré les types de statues de la déesse, faites en marbre par les Grecs : l’Aphrodite de Caride, oeuvre de Praxitèle, entièrement nue; la « Vénus Genitrix » présumée de Callimaque d’Athènes, dont le sein gauche était totalement dévoilé, et l’Aphrodite « en drapé mouillé », un genre qui remontait à la fin du Ve siècle.La représentation des déesses majeures n’avait pas changé depuis les hautes époques. Elles portaient la chevelure tripartite des divinités et étaient vêtues de la stricte robe-fuseau, parfaitement lisse et dont les bretelles recouvraient les seins.L’artiste a rituellement figé son Aphrodite dans l’attitude pharaonique de toujours : elle marche dignement, le pied gauche en avant. Par-devant, il emprunte aux Grecs le plissé mouillé qui montre le corps dans toute sa beauté, mais il laisse entrevoir les tétons des deux seins. De dos, rupture radicale avec la tradition, il supprime le pilier d’adossement vertical et le remplace par un rendu naturaliste des lignes imprégnées d’eau qui retombent obliquement sous l’effet de la marche avant du pied gauche.La statue de Canope pourrait être le prototype du costume, plus ou moins bien rendu, que porteront toutes les reines lagides, puis les images d’Isis, tandis que le plissé finit par n’être plus transparent et paraît empesé.Avec cette statue, en tout cas, l’interaction ne consisterait pas en un simple métissage vestimentaire. Ce serait une véritable et pure invention : non pas la combinaison d’insignes protocolaires mais la fusion intime de deux esthétiques mises au service d’un projet religieux. Un projet religieux ?Des hellénistes doutent qu’aucun des Grecs et Macédoniens n’ait eu vraiment foi en la divinité des souverains hellénistiques. Selon d’autres, une part de confiance et de reconnaissance aurait suscité chez les citoyens et sujets une croyance effective en ces héros victorieux, considérés comme « sauveurs » et « bienfaiteurs ». À propos des Égyptiens, le dilemme ne se pose pas : Pharaon était un homme-dieu, biologiquement prédestiné au trône par le créateur, son vrai père.Jean Yoyotte in Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006 p.106 avec bibliographie