On se trouve en présence d’un roi (voir SCA 279) et d’une reine de granite rose figurés debout, dans l’attitude de la marche, l’un et l’autre adossés à un pilier. Ce couple royal n’est pas le plus grand, mais c’est de beaucoup le mieux conservé des grandes effigies de style pharaonique qui nous soient parvenues de souverains ptolémaïques. Ce sont deux variantes originales du genre qui, du fait même de leur excellent état de conservation et de la connaissance du contexte archéologique, vont constituer un élément d’importance dans les recherches relatives à l’iconographie et à la divinisation des Ptolémées. Leur rôle est le même que celui des colosses que les rois du Nouvel Empire dressaient devant la façade des temples divins. Le roi veille sur le temple et s’expose dans sa grandeur à l’adoration de ses sujets. Le parallèle le plus commode est fourni par les colosses de Ramsès II et de sa grande épouse Nefertari qui sont sculptés sur la façade du petit temple d’Abou Simbel. Colosse d’un roi coiffé du pschent. Le roi, haut de 5 m mais retrouvé en cinq morceaux, est pratiquement complet. Les bras tombent le long du corps. Le poing droit serre l’énigmatique petit cylindre que depuis toujours la statuaire place dans la main des hommes importants. La tenue vestimentaire est des plus simples et des plus classiques : le roi, torse nu,est vêtu du traditionnel pagne shendjyt. Il porte sur la tête le pschent orné au front du cobra uræus dont le corps est schématisé sous la forme de deux boucles latérales. La double couronne, qui exprime la réunion des Deux Terres, c’est-à-dire la nécessaire unité de l’œcumène sous la domination du pharaon, se rencontre couramment sur les grandes figures royales en ronde-bosse sculptées au Nouvel Empire, mais elle est d’ordinaire dressée sur le cache-perruque némès, et il est plus rare qu’elle emboîte directement le crâne. Il en est d’ailleurs ainsi sur quatre des grandes statues de pierre représentant l’un ou l’autre des Lagides portant le pschent, toutes œuvres datables du IIe siècle et caractérisées par la frange de cheveux bouclés à la grecque qui dépasse du bord du némès. On connaît toutefois un autre exemple de pharaon hellénistique coiffant directement le pschent par la tête : un «petit » colosse de diorite, sûrement attribuable à Ptolémée VIII. Ici, la mode demeure de stricte tradition égyptienne. La parenté du Ptolémée d’Héracléion avec certains des colosses qui matérialisaient des formes spécifiques de Ramsès divinisé, par exemple le fameux «Soleil des Princes», est patente. On est en droit de supposer que le sculpteur a pris pour prototype un colosse de Memphis ou d’Héliopolis. Cependant,dans le modelé de la musculature du torse et du ventre, l’artiste a repris,non sans vigueur, le traitement tripartite qui avait fait son apparition sous la XXVIe dynastie et était réapparu sous la ; e.Un élément d’actualisation de l’effigie du roi tient dans la «personnalisation» évidente du visage. Bien que le nez soit brisé, la forme des yeux et de la bouche permettra aux spécialistes de s’entendre pour déterminer quel Ptolémée il conviendrait de reconnaître ici dans ce portrait atténué à l’égyptienne. Colosse d’une reine en Isis. Le corps de la reine a été retrouvé brisé en trois fragments qui se raccordent bord à bord. On peut imputer à un choc accidentel la disparition du genou gauche. L’épaule droite et le bras droit manquent totalement et il conviendra d’examiner la zone de fracture pour déterminer si cette mutilation n’est pas le résultat d’un travail humain volontaire. Le cimier «hathorique» qui couronnait l’épouse royale était une pièce rapportée. Intacte, elle vient s’adapter parfaitement dans la mortaise creusée au milieu du crâne. Le visage, la partie frontale de la coiffe et le départ du cou se sont détachés, mais la cassure est si nette que ce morceau se recolle parfaitement. Seule la pointe du nez est détruite. Selon la tradition, la dame, entravée par sa robe, avance la jambe gauche. Le bras gauche tombe le long du corps, la main plaquée sur la cuisse.Nous ne pouvons savoir si l’autre bras tenait quelque chose (signe de vie,corne d’abondance, fleur de lotus, cylindre énigmatique?) puisqu’il a disparu. Le modelé du ventre est discret et délicat. Les deux seins forment des demi-globes saillants et la protubérance des mamelons en est très marquée, comme en général dans la statuaire égyptienne d’époque hellénistique. La reine porte la perruque tripartite classique dont les nattes sont minutieusement détaillées. Un uræus unique, représenté par la seule partie antérieure du corps en extension du naja, se dresse au milieu du front. Le corps de la reine est moulé dans l’habituelle robe finement plissée qui s’arrête un peu au-dessus des chevilles. Autour des épaules est posé un châle dont l’extrémité vient courir obliquement entre les seins et rejoint la ceinture à laquelle il est rattaché au moyen d’un nœud assez discret. Le plissé de la robe-fuseau est rendu au moyen de lignes droites, modelées en léger relief, tombant verticalement au milieu puis en oblique de part et d’autre des pans de la ceinture. Cette structure rectiligne ne se rencontre sur aucune des grandes et petites statues de reines ptolémaïques recensées. En revanche, on en retrouve le modèle à peu près exact à l’époque ramesside, particulièrement sur la jolie statuette figurant une compagne de Ramsès II portant un bâton sacré qui appartient au Harer Family Trust. Le nœud et les deux longs pans de cette ceinture faisaient partie des accessoires de la robe des femmes royales et des divinités habillées en reines sous la XIXe dynastie. Sur la même statuette, ces détails préfigurent pareillement le traitement des plissés sur la reine d’Héracléion. Quant à la haute coiffure qui combine le disque du soleil entre les cornes de la vache Hathor et les deux longues rémiges de rapace, il était dès le Nouvel Empire un signe de divinité commun aux femmes royales et aux déesses « aux grands sortilèges » qui font la force des regalia. Le cimier de la reine d’Héracléion et celui de Nefertari à Abou Simbel sont pratiquement identiques. Comme celui du roi, le visage de la femme présente des traits individuels dans lesquels les chercheurs spécialisés pourront rechercher l’identité de cette souveraine associée. Au total, quelle que soit la date à laquelle on saura s’arrêter, le couple colossal d’Héracléion va sans doute constituer un jalon important dans l’histoire de l’iconographie de la dynastie gréco-macédonienne et de l’iconographie des divinités en général.Type général et tenues vestimentaires, ces deux colosses sont des imitations de modèles ramessides sans aucun détail ou signe emprunté à l’iconographie hellénique et dont seuls quelques détails (ainsi un seul uræus frontal au lieu de deux comme au Nouvel Empire) et surtout quelques finesses dans le modelé trahissent l’art ptolémaïque. Bien que la structure et le dispositif en soient les mêmes, l’écharpe nouée et les plissés de la robe qu’on observe sur les autres statues actuellement recensées des reines de la dynastie macédonienne sont bien différents. La transparence du vêtement et les plis de la chute de la jupe épousent le mouvement naturel du corps. Le rendu y est plus souple, plus naturel. La figure de la reine vient confirmer la conclusion de Bianchi : le nœud que l’on voit sur les statues de souveraines ptolémaïques n’a rien à voir avec le «nœud d’Isis » (le fétiche tit), ni même à l’origine avec la déesse Isis.Jean Yoyotte, dans Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006 p. 103, avec bibliographie