Cette statue sans inscription possède les caractéristiques que l’on trouve régulièrement dans les figures de fécondité. La statue représente un homme gras pourvu de gros seins pendants aux mamelons proéminents. Il tient devant lui une table d’offrande prolongée à l’avant d’une goulotte centrale pour canaliser leau. La table d’offrande sappuie sur ses avant-bras et sur la paume de ses mains dont les doigts abîmés saillent au-devant du plateau.Ses mamelons reposent sur la table. Il porte la perruque en trois parties qui coiffe d’ordinaire les divinités masculines (ainsi que les déesses et les femmes de l’élite). Sa fausse barbe, toute droite, n’est pas vraiment typique des divinités, qui portent presque toujours une barbe bien plus longue et à l’extrémité recourbée vers l’avant. La barbe d’origine a été endommagée et remodelée pour paraître intacte. Au cours de cette réparation, les bords ont été biseautés, ce qui donne un contour qui n’a rien de naturel pour une barbe postiche. Au-dessus de la perruque se dresse un bouquet de papyrus, la plante emblématique de la Basse-Égypte, qui était tout particulièrement associée à Hâpy, la crue du Nil. Cet élément lui aussi s’est brisé à l’époque antique. La partie supérieure de la plante a été retrouvée au cours des fouilles et est maintenant de nouveau à sa place sur la statue, mais peut-être napparaissait-elle pas en position après l’accident ancien et les réparations. La table d’offrande est constituée de plusieurs fragments rassemblés. Le dessus est sculpté en relief de quatre miches de pain sur le bord gauche, mais le reste du plateau est lisse et de forme légèrement concave. Il est probable que des pièces plus grandes, par exemple les vases de libations souvent présentées par les figures de fécondité, ont été endommagées sans possibilité de réparation. L’épaisseur de la table d’offrande cache le ventre normalement proéminent des figures de fécondité. Le bas de l’abdomen rebondi est visible sous le plateau. Des bandes de tissu pendantes, parties d’un vêtement minimal,s ont sculptées en relief sur la cuisse droite et l’entrejambe. La jambe gauche, dont une partie du mollet est un fragment séparé, savance d’un pas décidé, comme celle du roi (SCA 0269). Cette jambe se détache largement de la matrice, et lespace vide derrière elle forme un angle droit avec l’avant du pilier dorsal.La fonction principale des figures de fécondité est d’apporter les offrandes, et cette posture de marche décidée peut exprimer cette intention, mais elle peut aussi représenter simplement une figure masculine sans implication particulière. Le socle, dont la surface est piquetée et dont les angles se sont arrondis, est resté solidaire des pieds et des chevilles. Peu de détails sont maintenant visibles sur le socle. Comme presque toutes les statues égyptiennes de taille un tant soit peu importante, le colosse est pourvu d’un pilier dorsal. Celui-ci monte jusqu’au sommet du bouquet de papyrus et, ce qui est plutôt inhabituel, il a une forme ronde plutôt quanguleuse. Cet arrondi peut avoir été renforcé par l’érosion en milieu marin, mais c’était certainement une caractéristique d’origine.On sattend à trouver une inscription sur toutes les statues grandes et prestigieuses, surtout sur les piliers dorsaux et les socles, et le fait quils en sont dépourvus pousse à se demander si elles furent jamais complètement achevées. À ce propos, il est étrange que la surface originale de cette statue soit bien plus granuleuse que les zones décrites plus loin. Le visage du colosse est très charnu, ses yeux profondément enfoncés, ses pommettes marquées, ses joues gonflées. Il possède un menton arrondi, sculpté séparément, qui forme une ligne verticale avec la bouche et les narines (le sommet du nez est brisé). Les yeux, très grands, sont délimités par des lignes de maquillage, marques de statut divin ou royal. La crête des sourcils,qui barre le visage d’une ligne presque droite, est proéminente et indique probablement elle aussi un maquillage. Les oreilles sont très soignées et détaillées, mais leur forme est plutôt épaisse. Contrairement au visage du roi, fortement individualisé, celui de cette figure possède un caractère neutre, idéalisé, quon retrouve sur de nombreuses statues de la période tardive et du début de la période ptolémaïque, qu’il sagisse d’hommes qui ne sont pas de sang royal ou, par exemple, de la statue en granite, plus grande que nature, de Ptolémée II Philadelphe conservée au Musée du Vatican.La figure de la fécondité peut appartenir au IVe ou IIIe siècle av. J.-C., mais ce visage sans particularités rend difficile une datation précise. Comme beaucoup d’autres statues trouvées à Héracléion, cette figure monumentale de la fécondité porte de nombreuses traces de dommages et d’altérations entre sa création initiale et son abandon final. La statue a été trouvée brisée en sept morceaux (quelques pièces mineures manquent). Elle a été réparée dans l’Antiquité, et certaines surfaces ont été lissées en des formes inhabituelles, de toute évidence. Parmi ces surfaces, on peut noter l’avant de l’épaule droite et le rabat adjacent de la perruque, qui sont presque plats et bien plus lisses que le reste de la statue, de même que la partie de la coiffe de papyrus juste sous la cassure, qui a été retravaillée pour s’incurver en arrière. La bordure droite du bouquet a également été remodelée, juste au-dessus de l’épaule et du rabat lissés.La statue était probablement tombée sur le côté droit, peutêtre à la suite d’un tremblement de terre. Les surfaces ont alors dû être repolies, surtout dans les parties supérieures difficiles à voir depuis le sol (il est probable quelles ont été peintes, ce qui devait camoufler encore davantage les dégâts). L’ensemble a été remonté avec un procédé qui a dû mettre à rude épreuve les techniques d’assemblage connues à l’époque. Il manquait probablement à la statue réparée le sommet de sa coiffure de papyrus, car la courbe vers l’arrière des tiges à l’endroit de la cassure ne saccorde pas à la forme complète. Plus tard, la statue fut abandonnée, peut-être quand la ville d’Héracléion sombra dans la mer à l’époque byzantine ou au début de lère islamique. Plusieurs des cassures visibles aujourd’hui datent probablement de cette seconde phase. L’échelle de cette figure est presque identique à celle des statues d’un roi et d’une reine découvertes à proximité, mais il est difficile de déterminer si elles formaient un véritable ensemble.Par leur taille, ces statues sont comparables à de nombreuses statues de rois, qui étaient parfois même représentés à une échelle supérieure.Vers le début de la période ptolémaïque, un homme qui n’était pas de rang royal surnommé «le Horemheb grec » et Amenhotep, fils de Hapou, personnage éminent du millénaire précédent qui avait été déifié, furent représentés par des statues monumentales.Des divinités sous forme animale, des faucons notamment, ont aussi été représentées par des statues monumentales. On ne connaît que trois autres statues monumentales de divinités : les trois colosses prédynastiques de Min à Koptos, qui se trouvent maintenant au Musée égyptien du Caire et à l’Ashmolean Museum d’Oxford. Elles ont environ trois mille ans de plus que la statue d’Héracléion. En dehors de ces exemples, les statues atteignant deux fois la taille normale ou plus semblent avoir été en majorité réservées aux rois, parfois accompagnés de leur reine. Les rois (et reines) pouvaient aussi être représentés sous forme d’un sphinx colossal, comme celui de Gizeh, en plus d’être représentés sous une forme humaine normale. Lexemple le plus approchant pour une figure de fécondité, quoique d’une taille très inférieure, est une statue plus grande que nature en quartzite trouvée à Karnak et qui date du IXe siècle av. J.-C. ; elle a été identifiée formellement comme étant Hâpy, « père des dieux ». La statue décrite ici est donc la plus grande statue égyptienne connue d’un être identifié comme une divinité.Une statue monumentale glorifie son sujet et le relie de manière privilégiée au spectateur. Beaucoup de ces statues étaient installées devant les temples, tournées vers l’extérieur, ou dans leurs enceintes extérieures ; elles sadressaient ainsi à ceux qui contemplaient le temple ou qui y pénétraient. Les temples égyptiens n’étaient pas accessibles à un large public, et donc ceux qui y pénétraient devaient appartenir au personnel religieux. En revanche, on connaît des représentations monumentales en relief sur des pylônes, dans des scènes où les rois leur font des offrandes. Quelques figures de divinités grandeur nature apparaissent aux côtés de rois dans des groupes statuaires, notamment dans les temples du Nouvel Empire ; on en connaît des exemples à l’intérieur des temples. Cependant, les plus importantes représentations de divinités étaient les précieuses statuettes de culte conservées dans les sanctuaires. Cette façon de faire est très différente de celle du monde classique, où certaines des statues de cultes les plus renommées étaient de taille monumentale.Les figures de fécondité ne sont pas des divinités proprement dites. Elles personnifient les aspects fertiles du monde naturel et cultivé, dont le plus important est de loin Hâpy, la crue du Nil, souvent divisée en deux formes pour la Basse et la Haute-Égypte, dont l’une porte un bouquet emblématique de papyrus, comme sur cette statue. Hâpy est presque le seul être représenté en figure de fécondité qui ait fait l’objet d’un culte. Le colosse le représente certainement, dans sa forme de Basse-Égypte. Typiquement, les figures de fécondité étaient groupées par deux, mais ici aucune trace d’un éventuel compagnon n’a été trouvée. Comme la statue était installée à Héracléion, à lune des embouchures du Nil, l’identification avec Hâpy est particulièrement plausible. La principale fonction des figures de fécondité était d’apporter les offrandes au temple pour que le roi les présente aux dieux. Elles sont donc peut-être plus proches du roi en tant que représentant de ce monde, que des dieux dont le domaine est plus cosmique. En particulier durant le Ier millénaire av. J.-C., l’identification était très étroite entre le roi et les figures de fécondité ; elles apparaissent dans des séquences très longues sur les murs des temples et leurs actions étaient attribuées au roi. Certaines images du roi Amenhotep III (XIVe siècle av. J.-C.) ont même l’apparence de figures de fécondité. Leau et les produits que les figures de fécondité apportent dans leurs représentations étaient offerts aux dieux, qui en retour pourvoyaient au bien-être de l’Égypte tout entière. Les figures pouvaient donc, de façon appropriée, être représentées tournant le dos au temple ou regardant vers lui, et pouvaient transmettre un message de bienfaits divins tout autant que royaux pour le pays. La statue d’Héracléion, une des très rares qui aient probablement été tournées vers l’extérieur, exprime des idées de ce genre à une échelle monumentale.John Baines, dans Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006 p. 94, avec bibliographie