Deux plaques de bronze retrouvées entre les secteurs H1 et H7. La première est totalement corrodée, la seconde comporte une inscription horizontale de grands hiéroglyphiques bordée de deux « filets ». Le bord droit et l’angle inférieur droit sont brisés. Deux conduits carrés destinés au passage de solides tenons recoupent le filet supérieur ; tous deux sont creusés à 2,5 cm du haut de la plaque et à 3 cm du bord. Cette symmétrie et le fait que les filets paraissent se terminer un peu avant le bord suggèrent que la plaque est complète. Le début du texte est détruit sur un espace équivalant à un cadrat, après lequel on discerne un signe vertical (peut-être « le rouleau de papyrus »). On lit clairement ensuite m rA hAw-nbwy, « dans la bouche des Haou-Nebouy ». Audelà, peut-être les traces de « la houe », mr(y). Le terme Haou-nebouy est une graphie récente du très antique terme ÌAw-nbw. t, littéralement « Ceux qui sont derrière les nebout », ce dernier mot désignant une réalité géographique, un genre d’îles selon toute probabilité.Depuis l’Ancien Empire, Haou-nebout désigne, parmi les gens que le pharaon entend soumettre, ceux qui se trouvent sur les confins nord de l’Égypte. La thèse développée par Jean Vercoutter en 1946-1948 comme quoi il s’agissait à l’origine des populations habitant les marais du Bas delta reste des plus soutenables. Cet ethnonyme archaïque survivra avec un sens métaphorique dans la langue classique employée pour les compositions officielles et religieuses. Ainsi, dans la rhétorique triomphaliste qui chante la puissance des rois conquérants du Nouvel Empire, il sappliquera aux peuples de la Syrie- Palestine. Sous les rois saïtes, il désignera les Phéniciens, Cariens et Grecs recrutés comme soldats.Dans les décrets sacerdotaux trilingues en l’honneur des Ptolémées, la version démotique désigne la version grecque comme écrite en «en écriture des Iouweïn [des Ioniens] » là où la version en écriture hiéroglyphique dit « en écriture des Haou- Nebouy ». Il convient de se rappeler à ce propos que la langue pratiquée par toutes les minorités implantées dans l’Égypte des Lagides (Hellènes, bien sûr, mais aussi les Thraces, les Juifs, les Arabes et les Iraniens) était le grec. La forme Haou-Nebouy apparaît dans deux textes datant d’autour de 300 et se rencontrera dans les inscriptions des temples ptolémaïques. Littéralement, on doit traduire « Ceux qui sont derrière (ou « autour ») des Deux Seigneurs ». Sur notre plaque de bronze, le mot nbwy, « les Deux Seigneurs », est écrit au moyen de deux faucons tenant le flagellum royal (on rencontre une graphie similaire dans la stèle du Satrape, datant du gouvernorat de Ptolémée fils de Lagos, le futur fondateur de dynastie). La paire de rapaces divins représente simplement Horus et Seth, les deux dieux dont les attributs sont unis dans la personne du roi. Un jeu de mot étymologique recouvre simplement une désignation du pharaon lagide, qui était effectivement « entouré de Grecs ».Nous devons comprendre que le fragment d’Héracléion parle de « la bouche des Grecs ». Des deux interprétations qui peuvent être envisagées au premier abord, il n’y a pas lieu de retenir celle qui consiste à comprendre qu’il est question «de la langue des Grecs», peu probable d’un point de vue philologique strict. La traduction «à l’embouchure des Grecs», qui reconnaîtrait un toponyme, est évidemment préférable. On serait en présence d’une forme abrégée de l’expression « la bouche de la mer des Haou-nebout » qui précisait la position de Thônis-Héracléion dans le décret de Nectanébo Ier découvert sur le site. Une suite de trois mots seulement est conservée sur la plaque, mais qui n’est pas le vestige tiré d’une formule banale et semble constituer la fin d’un discours commençant sur une autre plaque. Même si l’on peut restituer « mé du dieu grand à l’Embouchure des Grecs », nous naurions là que lextrême fin d’une titulature divine faisant suite à une titulature du roi.Les tenons indiquent évidemment que les plaques devaient être adaptées et probablement scellées sur un support nécessairement solide étant donné le poids que chacune représente, soit une paroi de pierre, soit un très épais support de bois (comme le sont les monumentaux battants des propylônes et des portes d’accès des temples). L’étroite bande laissée vierge au-dessus de la ligne de texte et le champ pareillement vide au-dessous suggèrent que le long texte supposé remplissait un bandeau de soubassement, là où prennent place des dédicaces et des définitions emphatiques du temple et de ses divinités. Nous supposerions alors que les deux objets sont les survivants d’une série de plaques de bronze, les seules à avoir échappé à la récupération et à la fonte lors de la destruction du monument.Jean Yoyotte, dans Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006 p. 217, avec bibliographie