Parmi les grands monuments repérés sur le site du temple d’Héracléion, une monumentale chapelle monolithe de granite, haute de 174 cm, datant de l’époque ptolémaïque, se trouvait sur l’aire du grand temenos. Les deux montants (largeur de chaque montant : 18 cm) encadrant la porte de la niche portaient des inscriptions hiéroglyphiques verticales normalement orientées (les hiéroglyphes convergent vers l’ouverture se dirigeant vers l’intérieur où résidait l’image divine). La partie supérieure des deux textes est si fortement corrodée qu’on ne peut plus rien lire. Ce qui subsiste en dessous contient des deux côtés la fin de la titulature d’un dieu et, puisque le dernier signe, de part et d’autre, note le mot mry, « aimé de...», on peut déduire qu’en haut de chaque colonne figurait le nom du pharaon dédicant, conformément au type habituel : « Le roi X, aimé du dieu Y». Les signes sont souvent très endommagés. Les graphies et le module des signes suggèrent de toute façon l’époque ptolémaïque. À la partie inférieure du montant droit se lisent clairement les deux derniers titres de la divinité pour laquelle a été édifiée cette grande chapelle monolithe : « (...), celui qui préside à l’étui mekes, le noble dieu de la Maison-de-Réjouissance (Pr-hay) » . Sur le montant gauche, on peut lire « (...) le dieu de la Basse-Égypte (?). Il la érigé (zaha) en roi, en (?) le désignant (dbn?)...?... du pays (†-Hn. t)...», le pronom « en » se référant, bien sûr, au souverain qui était nommé plus haut, dans la partie dégradée. Ces quelques mots, bien assurés, permettent de résoudre le problème que posait le nom indigène du temple principal d’Héracléion. La version égyptienne du décret honorifique pris par les prêtres d’Égypte réunis à Canope en l’honneur de Ptolémée III donne pour équivalent du toponyme grec Héracléion l’expression suivante : « la Maison d’Amon-Gereb à la Bouche de la Hôné » - la Hôné, connue également sous le nom de Thônis (égyptien †-Hn. t). D’autre part, un dioecète égyptien qui fut en poste dans l’Alexandrie ptolémaïque dans le courant du IIe ou du Ier siècle compte parmi ses bénéfices sacerdotaux ceux de «prophète de Khonsou l’Enfant et d’Amon-Gereb, hiérogrammate du temple d’Amon-Gereb, scribe d’Osiris au temple de Pe-Gouti (= Canope)...».Un papyrus démotique, datable du IIe siècle, trouvé à Saqqara et contenant un répertoire des divinités égyptiennes, - cite parmi une trentaine de formes d’Amon le nom de notre « Amon-Gereb ». On sait que les premiers Grecs établis en Égypte avaient assimilé Amon-Rê, le roi des dieux égyptiens et le patron de la célèbre Thèbes, à leur Zeus, le roi des dieux de leur Olympe, et que, plus curieusement, ils avaient identifié Khonsou, le jeune dieu lunaire, fils d’Amon thébain, à Héraclès, fils de Zeus, localisant même sur la côte du Delta certaines étapes et exploits secondaires du fameux héros voyageur. On a pu constater qu’à partir du Xe siècle Khonsou avait gagné une grande popularité comme dieu sauveur, guérisseur et donneur d’oracle, et c’est sans doute ce qui expliquerait que son culte ait pris le pas sur celui d’Amon dans la ville canopique, au point que les étrangers ont vu dans son temple un Héracléion, un sanctuaire d’Héraclès.Dans les trois textes qui mentionnent l’Amon particulier d’Héracléion, le mot qui caractérise cette forme locale du roi des dieux, gereb, est écrit alphabétiquement, sans un déterminatif qui puisse nous suggérer ce qu’il voulait dire. Or, il existe, attesté dans les légendes des scènes rituelles des temples ptolémaïques, un vocable, gereb, également connu par des actes juridiques démotiques, qui désigne une catégorie particulière de document écrit. Les contextes des scènes rituelles associent ces écrits gereb à la remise au roi par le dieu de l’objet appelé mekes, qui est un étui censé contenir l’inventaire (Jmyt-pr) du domaine royal, inventaire dont la transmission accompagne et fonde la dévolution du pouvoir.Dans ces conditions, l’appellation de l’Amon d’Héracléion devrait se lire Jmn (n) grb, « l’Amon du Gereb », et se référait en tout cas au dieu suprême, créateur et maître de l’univers agissant comme la puissance qui investit les nouveaux souverains en leur remettant le titre de souveraineté sur l’Égypte et sur l’univers. Ce qui est lisible des titulatures de l’occupant divin du grand naos, repéré sur le site présumé d’Héracléion, vient exactement recouper cette supposition. Ce dieu, en effet, possède la maîtrise du mekes, l’étui dans lequel était roulé le testament des dieux par lequel le nouveau pharaon était reconnu maître et possesseur de l’Égypte. Il est donc censé avoir désigné le roi, et résider dans « la Maison de Réjouissance », un palais où est dressé le trône du pharaon et où il fait ses apparitions en gloire.Jean Yoyotte, dans Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006 p. 84, avec bibliographie