Tête de faucon en granite. Elle est brisée au niveau du coup, mais la surface (en dehors de concrétions blanches) est en bon état de conservation. Sur le cou massif, la tête trapue semble légèrement levée. Le bec est brisé et marqué d’une rainure horizontale. L’oeil, très grand, est surmonté d’un long bourrelet formant l’arcade sourcilière. Au-dessus, le renflement de la perruque couvre la tête de l’oiseau. Elle retombe des deux côtés en deux pans volumineux et arrondis striés de rainures verticales. Le pan droit est brisé au ras du cou, le pan gauche descend un peu plus bas. La perruque, formée de grosses mèches, est celle des divinités égyptiennes traditionnelles. Des oreilles humaines sont accolées sur les tempes du rapace, débordant légèrement sur la perruque, comme si on avait substitué au masque des dieux entièrement anthropomorphes le masque d’un animal. Or, les oreilles constituent un précieux indice de date. À notre connaissance, aucune des figurations de divinités hiéracocéphales en ronde-bosse, qu’elles soient de pierre, de bois ou de métal, n’est dotée d’oreilles humaines. En revanche, à partir de la XXVIe dynastie, on les trouve accolées à la perruque sur un nombre appréciable de statuettes votives de bronze figurant des Horus ou autres dieux de type faucon. Cette adjonction qu’on rencontre d’ailleurs sur les statuettes d’autres divinités portant sur un corps humain une tête animale encadrée de la grosse perruque caractérisait, peut-on croire, ces images que consacraient les particuliers comme celles de dieux « qui écoutent les prières » des gens. On peut déduire que la tête n’a pu être réalisée avant le VIIe siècle av. J.-C. Il reste trop peu de l’oeuvre, dont le poli et le modelé étaient de qualité, pour qu’on sache établir si elle fut réalisée avant ou après l’avènement des souverains gréco-macédoniens. Les dimensions surprenantes que la tête conservée implique ne contredisent pas en ellesmêmes une attribution aux époques tardives. Sous les dynasties indigènes, puis sous les Ptolémées, furent sculptées en pierre dure des effigies en pied de taille surhumaine des rois et même de certains hauts dignitaires. Il demeure qu’un colosse divin, de quelque époque qu’il soit, serait une exception gênante. Une observation plus fine de la statue permet de résoudre la difficulté. La masse des mèches de la perruque, au lieu de tomber verticalement à l’arrière de la nuque, s’incurve à l’horizontale, comme si elle venait reposer sur le dos d’un corps en position allongée, ce que semble confirmer l’incurvation de l’épaule, comme si les membres antérieurs prenaient appui à plat vers l’avant. Ces constatations orientent vers deux reconstitutions possibles : - La tête appartenait à un grand sphinx hiéracocéphale. Pour représenter le roi en manifestation du dieu guerrier Montou ou pour figurer le dieu solaire ou les Horus nubiens veillant à la porte du lieu saint et protégeant le roi, le Nouvel Empire inventa une variété de sphinx en plaçant sur le cou d’un lion la tête du faucon coiffée de la perruque divine. Cette variété, assez rarement attestée en ronde-bosse, n’en était pas moins connue de l’iconographie tridimensionnelle au IVe siècle av. J.-C. (naos de Nekhnebef, Caire CG 70021, ; e dynastie). Le monument alexandrin aurait été un grand sphinx représentant Rê ou Horus. On notera que sa taille approchait celle de certains sphinx royaux classiques qu’on date de la ; e dynastie ou du temps des premiers Ptolémées. - La tête serait le vestige d’un dieu représenté sous la forme d’un « crocodilo-sphinx hiéracocéphale ». Parmi les monumentales statues divines du temple thébain d’Amenhotep III (1391-1353 av. J.-C.), on remarque une figure en albâtre (5, 33 m à la base sur 1,05 m) dont la partie antérieure est d’un lion et la partie postérieure d’un crocodile. Faute d’inscription, on ignore le nom de cette entité mixte et, la tête ayant disparu, on ne saurait dire si elle était d’un homme, d’un faucon ou d’un autre animal. Cette sculpture préfigure en tout cas un type iconographique bien attesté plus tard et dont les plus anciennes authentifications datent du Ve siècle. Différents dessins figurent une divinité sous les apparences d’une bête composite dont le protomé est d’un lion, la partie postérieure d’un crocodile et la tête d’un faucon, souvent installée sur un haut socle en forme de temple. Cette imagerie présente quelques variantes : ainsi le type de couronne-cimier est variable : parfois une tête canine termine la queue de saurien, mais la structure de ce genre de « panthée », c’est-à-dire de composition totalisant divers attributs de la divinité, est typique. Elle sert d’enveloppe à un certain Horus « qui détient les liens », antique dieu local de la région de Sohag qui, depuis l’Ancien Empire, est partout connu pour être un redoutable magicien qui guérit les malades et anéantit les ennemis malfaisants. On le rencontre par exemple parmi les théories de divinités armées sur les statues et cippes magiques, objets de pierre inscrits de formules curatives que les notables, aux IVe et IIIe siècles, plaçaient à la disposition des gens malades. Des figurines et des amulettes sont fabriquées de cette idole baroque. Elle compte parmi les divinités modelées en relief au creux des patelles votives en stéatite. Elle vient prendre place parmi les puissances cosmiques sur les talismans « gnostiques » gréco-romains. L’Horus magicien de Sohag est couramment invoqué dans les incantations récitées pour la protection du cosmos et de l’État et la sauvegarde des humains à l’époque ptolémaïque. De toute évidence, une idole dotant le dieu sauveur omniprésent de la puissance du faucon céleste, du lion terrestre et du crocodile des eaux et qui était censé assurer l’éternité jouit d’une singulière popularité dans l’Égypte tardive. Aussi ne serait-il pas déraisonnable d’imaginer qu’à l’époque ptolémaïque ou romaine un gigantesque exemplaire de cette idole ait été apporté d’ailleurs, voire sculpté à neuf, pour la défense du pharaon et la santé des Alexandrins. Empruntées à l’iconographie des autres Horus, les oreilles ajoutées caractérisent le dieu comme attentif aux prières. Jean Yoyotte dans Trésors engloutis d’Égypte, Le Seuil, Paris, 2006, avec bibliographie.