Ce buste est remarquablement bien préservé. Pour ce qui est de la tête, seules l’extrémité du nez et la partie inférieure de deux des longues mèches de la barbe manquent. L’épaule gauche ainsi que les bords inférieurs du buste ont également subi quelques dommages. Des abrasions sont visibles sur la surface du sternum gauche sous la barbe. Une partie de l’arrière de la tête est cassée ; audessus de l’épaule droite, une curieuse incision en forme d’entaille partiellement remplie d’une substance incertaine, liée soit à la fixation du buste à son cadre, soit à un défaut dans la pierre, a été « nettoyée » puis bouchée. La partie inférieure de la barbe a été travaillée au trépan (on aperçoit les extrémités de trous percés) et les mèches des cheveux et de la barbe sont gravées de façon précise. Les surfaces de chair ont été polies jusqu’à être presque lustrées, éliminant toute trace d’outil. Le dos présente une surface plate et sciée qui s’étend le long de la nuque et à l’arrière du chignon formé par les cheveux. Un trait diagonal à travers la partie droite du bas du dos dénote un léger changement de 3 à 4 mm dans la surface sciée. Cette surface représente probablement l’arrière du bloc dans lequel le buste a été taillé.Un profond trou ovale à goujon, au centre du dos, servait à fixer le buste à une surface verticale plate. Étant donné la saillie vers l’avant de la tête et le périmètre inférieur arrondi du buste, cette surface était probablement l’intérieur d’un cadre en forme de bouclier prévu pour une imago clipeata (en grec : eikon en hoploi). Un buste fragmentaire du même type, en marbre et placé dans un bouclier, a été retrouvé sur le même site. Un petit trou percé dans le bandeau audessus du front était prévu pour la fixation d’un attribut, probablement une fleur de lotus. Le buste est incroyablement bien préservé et de la plus grande qualité. Il fait partie d’un large courant de statuaire raffinée de style classique en pierre sombre fabriquée en Égypte pour des acheteurs du Delta et de l’Italie centrale. Il représente une divinité à longue barbe et à traits vigoureux idéalisés, portant une corne d’abondance sur son épaule gauche. Cet attribut ainsi que le « portrait » divin sont particulièrement adaptés à un dieu fluvial ; le matériau et le contexte renvoient à une représentation du dieu Nil, Neilos.Seule une petite partie d’un himation est représentée pardessus l’épaule gauche sur le buste dénudé. La poitrine, les clavicules, le sternum et les muscles des épaules sont tous modelés et représentés avec soin. La petite corne d’abondance est taillée contre le vêtement sur l’épaule.La tête est tournée vers la droite et légèrement penchée vers le bas. Les cheveux ont une raie au centre et sont coiffés en arrière du visage en longues mèches ondulées ; ils sont ramenés en un grand chignon à l’arrière. La barbe est épaisse ; elle descend jusque sur la poitrine, où les mèches les plus longues rejoignent la clavicule. La bouche est représentée de façon complète et claire à l’arrière de la moustache et de la barbe. Les lèvres sont modelées avec soin et légèrement entrouvertes. Le front possède des rides horizontales et des muscles proéminents puissamment modelés ; les grands yeux simples sont encadrés par des sourcils et des paupières nettement ciselés, maniérés, de style classique. Le large nez droit classique a des narines percées avec soin, rendues visibles par la cassure.La personnalité du dieu fluvial en tant que personnage âgé mais vigoureux est représentée par la longue barbe épaisse, par le front musclé et par les fines rides de vieillesse sous les yeux. Son ancienne divinité est représentée par les traits de forme classique. Son identification en tant que Neilos est confirmée par la corne d’abondance ainsi que par les détails de l’arrangement des cheveux et de la barbe, lesquels sont étroitement comparables à d’autres représentations du dieu : par exemple, une figure allongée en basalte dans le Palazzo Doria à Rome. De telles sculptures virtuoses de divinités grecques en pierre sombre égyptienne étaient le produit d’ateliers spécialisés probablement situés à Alexandrie et qui s’adressaient à une clientèle sophistiquée dans les communautés du Delta aussi bien qu’à Rome et en Italie centrale. Ces ateliers fabriquaient des statues d’aspect purement pharaonique, des figures de style « mixte » gréco-égyptien ainsi que des figures de style purement classique, mais en pierre sombre. Cette dernière catégorie comprend des figures aussi extraordinaires que les colossales statues en basalte de Bacchus et d’Hercule provenant du palais impérial sur le Palatin à Rome (elles se trouvent maintenant à Parme). De telles sculptures pouvaient avoir un aspect indigène égyptien qui justifiait l’utilisation de ce matériau, pour des personnages tels qu’Isis, Sérapis et le Nil. Plusieurs bustes semblables en pierre sombre représentant Sérapis et au moins deux figures représentant le Nil ont survécu. Ce buste est un exemple de très grande qualité et particulièrement impressionnant de cette catégorie de sculpture.Les représentations ayant pour cadre un bouclier avaient été conçues durant la période hellénistique comme un genre de portrait honorifique. Leur usage fut étendu aux représentations de dieux et de héros dans la période hellénistique tardive et leur utilisation s’est poursuivie pour les représentations sculptées d’hommes et de dieux jusque dans la période romaine tardive. Le format du portrait dans un bouclier, le style précis classique des yeux, des lèvres et des cheveux ainsi que la symétrie maniérée, profondément travaillée au trépan, de la barbe traitée en « arêtes » sur la poitrine font que l’on peut probablement dater l’oeuvre du IIe siècle ap. J.-C.R. R. R. Smith in Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006 p.146 avec bibliographie